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Chroniques
Pasquale Anfossi
La finta giardiniera | La fausse jardinière
Pour une histoire pleine de rebondissements, prenons trois couples que nous nommerons aristocratique, secondaire et comique, et amusons-nous à enchevêtrer les ambitions de chacun des protagonistes dans un lieu quasi unique : le jardin jouxtant le palais du podestat (le maire) de Lagonero. Le comte Belfiore et la marquise Onesti forment le premier, mis à mal quand, fou de jalousie, l’homme meurtrit sa compagne et s’enfuit horrifié, la croyant morte. Sous le déguisement de la jardinière Sandrina, toujours amoureuse, la survivante trouve refuge chez un bourgmestre sensible à son charme qui a pour nièce la « capricieuse, insolente et fantasque » Arminda. Avec le chevalier Ramiro, cette dernière compose le deuxième couple ; du moins jusqu’à ce qu’elle le quitte dans l’espoir d’épouser le noble Belfiore de passage chez son oncle. Enfin, Nardo, serviteur de la marquise travesti tout comme elle, met son ardeur à se mettre en ménage avec Serpetta, servante du podestat qu’elle ambitionne de séduire.
Au fil des aveux et démasquages successifs, on aura reconnu La finta giardiniera, l’opéra qu’un Mozart encore adolescent fit créer, avec succès, le 13 janvier 1775 au Salvatortheater de Munich [lire notre critique du DVD] – d’après un texte de Giuseppe Petrosellini, futur librettiste du Barbiere di Sivigli (1782) de Paisiello [lire notre chronique du 27 février 2005]. Or, durant la saison de carnaval 1773-74, au Teatro delle Dame, un dramma giocoso éponyme a déjà ravi le public romain, avant de conquérir ceux de Dresde, Londres, Varsovie et Lisbonne : il est signé Pasquale Anfossi (né en 1727), un violoniste probablement initié par son père et sans doute aguerri à la composition auprès de Sacchini et Piccinni. C’est l’un des nombreux ouvrages (certains avancent quatre-vingt dix) que l’Italien laisse à la postérité, écrits à partir de trente-six ans jusqu’à sa mort (en 1795 ou 1797, selon les sources) – La serva spirituosa (1763), L'incognita perseguitata (1773), etc.
La finta giardiniera fut enregistré en public à Leverkusen (ville rhénane sise entre Cologne et Düsseldorf), du 2 au 5 novembre 2011, à l’Erholungshaus, maison de la culture bavaroise. Sept chanteurs se partagent l’affiche, convaincants à l’exception de Nuria Rial (Sandrina) au chant étouffé, chichiteux et pas toujours stable. Krystian Adam (Belfiore) est un ténor clair, élégant sans être fluet – son air Care pupille belle (Acte II, Scène 5) est délicieux ! En ce qui concerne María Espada (Ramiro), l’écoute seule de Va’ pure ad altri in braccio (Acte III, Scène 6) suffit à la savoir vive, incisive et éclatante. Katja Stuber (Arminda) se montre agile et Miljenko Turk (Podestat) plein de santé, tandis que Monika Reinhard (Serpetta) s’exprime avec évidence. S’il faut une préférence, elle va à Florian Götz (Nardo) pour des atouts aussi variés que finesse, nuances, impact flatteur et richesse du timbre.
Pour diriger cette musique gracieuse en trois actes – héritière du style galant, mais encore liée à l’esthétique baroque puisqu’elle traduit les affects –, Werner Ehrhardt s’avère riche de précision et de nuance, de tonicité et d’élégance, à la tête d’un ensemble L’Arte del Mondo à l’unisson de ses qualités. Tout nous invite donc à suivre les péripéties de nos sept amoureux, d’autant que la prise de son soignée leur offre une belle présence (a contrario du livret inclus au coffret qui « sabre » quelques répliques…).
LB